Le monologue de l'aubergine.
Foi d'aubergine, j'ai toujours détesté
les légumes qui se posent des questions.
Qui suis-je ?
D'où viens-je ?
Où vais-je ?
La vie est trop courte pour
se triturer les racines.
Je dis...
J'aime pas les aubergines qui grimacent et
bougonnent, jamais contentes.
" Je suis trop flétrie.
Je suis ridée, trop maigre, pas assez cramoisie "
Toujours à se plaindre.
J'aime pas les légumes qui font toujours
des salades.
Pour moi, l'aubergine qui doute maigrit.
Chaque étape de sa croissance est une souffrance .
Résultat, elle s'enferme sur elle-même et
s'étiole comme un légume maniaco-dépressif.
Quand on a la chance de posséder dès la
naissance la sérénité de la graine et la patience du végétal,
on se tait,
et on profite,
je dis.
On serait aubergine auvergnate,
on pousserait au fin fond de la Lozère,
encore, je dis pas !
Mais ici , à Pau, en pleine terre royale,
avec des soins au quotidien,
et des jardiniers capables qui n'hésitent pas à
se mettre à vos pieds pour vous ôter les pucerons
sans vous barbouiller de phosphate
ou d'azote !
Les idées noires ça va pour le chardon, le
chiendent,ou la bruyère sauvage, mais nous,
la fine fleur carminée du potager !
Est-ce de ma faute si j'ai des goûts simples ?
Le souffle de l'air qui vous friselle les feuilles,
la rosée du matinqui rafraîchit le teint.
L'arrosage espoir du soir,
les jours d'été trop chaud.
fruit de mes ancêtres indiens qui m'ont
appris la culture orientale, j'apprécie les émotions douces.
Je surveille avec sérénité les progrès de ma
violette obésité avec la fierté tranquille
d'une grande destinée à venir.
Alors qu'importent les lendemains:
que je sois confite ou bien frite, en salade ou
fricassée, je passerai sans émoi de ma terre
princière au palais
royal
d'un amateur
d'aubergine.
Je n'aime pas les légumes qui se posent trop
de questions.
Extrait du recueil " FANTAISIES POTAGERES "
Bernard Avron...
juste béarnisé par mes soins.