mardi 10 septembre 2013

Dans les allées d'un supermarché, une mamie ...

2010_4_13_mommie_inline Texte de Léa.

Mamie, ô ma mie,

 
J’ai tes mots coincés dans ma gorge.
Peux-tu me promettre que ton sein sera toujours chaud, tes mains toujours dans
les miennes, ta voix qui chuchote à mon oreille ?

J’ai vingt ans, et la vie me vomit déjà.

 Peux-tu me dire pourquoi ils veulent nous puiser jusqu’à nous épuiser,
nous dérober, nous profaner, prendre nos libertés en otage ?

 
J’ai peine à croire que cette vie-là vaut tout notre chagrin. Ils la
blasphèment avec leurs instincts en solde, leurs lots de mensonges et on est
assez bêtes pour acheter leurs paroles plutôt deux jours qu’un. On devrait
n’avoir que nos corps pour aimer.

 
Je les vois se défier les uns les autres, ce sera à celui qui courra le plus
vite. Dans les métros, dans les rues, dans les écoles. Ils se ruent après je ne
sais quoi. C’est normal, personne ne leur a dit qu’ils vidaient
leurs larmes et tarissaient leurs coeurs. Personne ne leur a appris à ne pas
écouter le chant des sirènes à moitié nues sur des panneaux de 20mètres, celles
qui veulent te faire croire que tu pourras enfin te rassasier du silence si tu
es différent.  Si tu consommes, tu ne te consumeras pas. Si tu suis les règles, tu
peux espérer rejouer. Personne ne leur a dit, mamie, ô ma mie, qu’ils ne
jouaient pas au bon jeu.

 Depuis bien trop longtemps déjà, ils ont oublié qu’ils n’étaient pas
orphelins du monde. Ils sont seuls dans leur coeur. Ils sont seuls sous leurs
draps. Ils sont seuls dans les villes. Je vois leurs pieds qui foulent des
pavés, comme des hommes à terre.

 
J’ai leurs mots coincés dans ma gorge.
Puis-je te promettre que mon sein sera toujours chaud, mes mains toujours dans
les tiennes, ma voix qui chuchote à ton oreille ?

 
Nos âmes sont vides et grises comme des buildings un jour de pluie. Il y a
deux trois cris qui résonnent dans nos intérieurs. Des jurons. Des sanglots. Des
rires, peut-être. Ça fonctionne comme une machine bien huilée. On allume la télé
et on bouffe de l’illusion jusqu’à en dégueuler, parce qu’on
n’arrive plus à rêver la nuit. C’est tout noir et froid. Je ne sais même pas si
nos corps laissent une empreinte sur nos matelas, de la chaleur sur nos draps,
un peu de paix sur l’oreiller. On va mourir vierges d’aimer.

 Moi, je veux chérir tout et n’importe quoi. Le clapotis de la pluie sur ma
véranda qui m’énerve le matin à 8heures. L’odeur du croissant au
beurre chaud. Les petites vieilles qui commèrent dans les bus. Le soleil qui se
lève. Puis le soleil qui se couche. Le sable chaud à s’en brûler les
pieds. Le vent qui fait pleurer les yeux et pique les oreilles. Ma mère qui
gueule les jours d’hiver. J’aimerais que les gens disent « bonjour »
en rentrant dans les transports en commun, que les « bon courages » fusent dans
les magasins, qu’on se sourie, qu’on se respecte.

Il y a une petite vieille au Leclerc qui n’a personne à qui parler,
alors elle raconte ses malheurs à tout le monde. Moi, j’aimerais lui offrir
mes larmes. Je me demande si quand je pense à elle, elle le sait. Est-ce
qu’elle le sent dans son coeur ? Est-ce que son pouls s’accélère et
sa poitrine se soulève de plus en plus vite ? Est-ce que ça la fait pleurer de
joie, de sentir que j’ai son visage au creux de mon ventre, ça et son
sourire un peu triste ?

 

Mamie, ô ma mie,

Peux-tu me promettre de sentir mon amour meubler ta grande maison ? Sur les
murs, les tapis, dans les tons orangés et bleutés, au fond de ton lit, sur la
commode, dans le bureau. Mouillée sur le paillasson. Le vent en poupe sur le
toit. Allongée sur tes genoux, le soir, devant la télé. Mes yeux dans tes yeux,
t’implorant de pardonner mon absence.


... de ma belle Léa qui a travaillé tout cet été à garnir les rayons d'un supermarché avant de reprendre ses études.

3 commentaires:

  1. Oh gentille Léa c'est le Mami blues ?

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  2. oh mais la garce! elle m'a fait pleurer !!!
    ô mamie , quelle chance tu as d'avoir une si belle petite fille, avec ce regard terrible sur le monde et ce cœur gros comme une montagne !
    et en plus, elle a les cheveux bleus, ou roses, ou parmes...selon l'humeur
    elle a bien raison
    moi, je te fais mes mille bises et tu lui en feras mille de plus de ma part, claudia

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  3. Ce texte est splendide, il n'est pas dit qu'un jour je ne le pique.
    Elle mériterait que l'on change Octographe en Décagraphe.
    Fais lui plein de bises de ma part à moi aussi.

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