Chers amis, je vous invite à lire l'article ci-dessous des Inrockuptibles :
Enorme et divine surprise : le prix Nobel de littérature a été décerné à Bob Dylan. C’est la première fois que cette suprême distinction récompense un chanteur, un choix qui suscitera peut-être les débats mais nous ravit.
Le Nobel de littérature attribué à Bob Dylan, c’est une nouvelle presque aussi sidérante que l’irruption de Like a Rolling stone dans les radios un jour de 1965. Les jurés de l’institution suédoise ont pris là une décision historique, renversante, qui fera peut-être jurisprudence et suscitera aussi son lot de polémiques. C’est la première fois qu’un troubadour reçoit cette distinction alors que d’immenses écrivains comme Philip Roth ou Don De Lillo attendent toujours leur tour.
Précisons tout de suite qu’ici, aux Inrocks, ce prix nous comble.
D’abord parce que même si Dylan n’est pas officiellement étiqueté comme “écrivain”, s’il n’est pas un “professionnel de la profession” comme dirait Godard, nous le considérons nous comme un écrivain à part entière dès lors que le statut d’écrivain se mérite à partir du moment où l’on crée avec les mots, où l’on joue avec la langue, où l’on suscite images, pensée, émotions avec le verbe. Dylan a porté le verbe plus haut, plus fort et plus beau que n’importe quel chanteur et que beaucoup de plumitifs labellisés “écrivains”.
Que l’on pense à ses libelles politiques comme The Times They are a changin, Masters of War ou Hurricane, à ses contes et légendes folk comme Ballad of Hollis Brown ou The Lonesome death of Hattie Caroll, à ses déluges poétiques et baroques comme Like a Rolling Stone, Visions of Johanna ou Desolation row, à ses histoires d’amour ou d’amitié vipérines comme Positively 4th street ou Ballad of a Thin Man, à sa déclinaison du cut-up burroughsien qui préfigurait le rap (Subterranean Homesick Blues), à son retour vers les “stories” du folk et du blues ces quinze dernières années…
Jongleur de mots
Où que l’on regarde dans sa discographie océanique (et par delà sa musique et sa voix singulière qui ne sont pas le sujet ici), Dylan aura porté l’art textuel de la chanson à son degré le plus élevé de sens, de richesse et de sensations littéraires. Il a tout simplement révolutionné la chanson, ouvert en grand l’arc de ses possibilités, accordé un cerveau et un verbe au corps et aux tripes du rock.
Les jurés du Nobel ont sans doute été sensibles également à ses mémoires, Chronicles, extrêmement originales du point de vue de la structure (Dylan n’y raconte pas toute sa vie de façon chronologique mais choisit des périodes très segmentées de son existence qui ont revêtu une importance particulière à ses yeux) et dont le style est aussi cinglant, laconique et non sentimental que dans ses meilleures chansons.
Dans ce corpus littéraire dylanien, il n’y a jamais une goutte de pathos, pas un gramme de putasserie, jamais de coups de coude complice au lecteur, de même que sur scène, il n’a jamais souri ou tendu la main à son public. Toujours droit dans ses boots (de cuir espagnol ?), toujours vertical, toujours aussi mystérieux qu’un sphinx.
Nobel rock
L’autre raison pour laquelle ce prix nous ravit, c’est parce qu’il dépoussière le Nobel et donne un grand coup de boule dans les catégories académiques établies. Pour être reconnu comme œuvrant dans la littérature, et la bonne, pas besoin d’avoir publié dix livres, d’avoir eu d’autres prix littéraires, d’être reconnu par la critique spécialisée, d’être le poulain d’une grande écurie de l’édition, il suffit parfois d’être juste un chanteur, un barde, un rockeur, et de savoir jongler avec les mots. Dylan Nobel, c’est comme le verre moitié vide moitié plein : est-ce le rock qui se nobélise ou le Nobel qui s’encanaille ?
La gentrification ultime du rock ?
Certains verront là la mise en bière ultime du rock, sa gentrification terminale et on peut comprendre ce point de vue. Pour notre part, on préfère y voir le désenclavement de la sphère littéraire, le symbole fort du mélange polysémique des disciplines qui marque notre ère multimède et du chamboule-tout des hiérarchies du monde ancien. De ce point de vue-là aussi, “the times they are a changin” et c’est magnifique
Précisons tout de suite qu’ici, aux Inrocks, ce prix nous comble.
D’abord parce que même si Dylan n’est pas officiellement étiqueté comme “écrivain”, s’il n’est pas un “professionnel de la profession” comme dirait Godard, nous le considérons nous comme un écrivain à part entière dès lors que le statut d’écrivain se mérite à partir du moment où l’on crée avec les mots, où l’on joue avec la langue, où l’on suscite images, pensée, émotions avec le verbe. Dylan a porté le verbe plus haut, plus fort et plus beau que n’importe quel chanteur et que beaucoup de plumitifs labellisés “écrivains”.
Que l’on pense à ses libelles politiques comme The Times They are a changin, Masters of War ou Hurricane, à ses contes et légendes folk comme Ballad of Hollis Brown ou The Lonesome death of Hattie Caroll, à ses déluges poétiques et baroques comme Like a Rolling Stone, Visions of Johanna ou Desolation row, à ses histoires d’amour ou d’amitié vipérines comme Positively 4th street ou Ballad of a Thin Man, à sa déclinaison du cut-up burroughsien qui préfigurait le rap (Subterranean Homesick Blues), à son retour vers les “stories” du folk et du blues ces quinze dernières années…
Jongleur de mots
Où que l’on regarde dans sa discographie océanique (et par delà sa musique et sa voix singulière qui ne sont pas le sujet ici), Dylan aura porté l’art textuel de la chanson à son degré le plus élevé de sens, de richesse et de sensations littéraires. Il a tout simplement révolutionné la chanson, ouvert en grand l’arc de ses possibilités, accordé un cerveau et un verbe au corps et aux tripes du rock.
Les jurés du Nobel ont sans doute été sensibles également à ses mémoires, Chronicles, extrêmement originales du point de vue de la structure (Dylan n’y raconte pas toute sa vie de façon chronologique mais choisit des périodes très segmentées de son existence qui ont revêtu une importance particulière à ses yeux) et dont le style est aussi cinglant, laconique et non sentimental que dans ses meilleures chansons.
Dans ce corpus littéraire dylanien, il n’y a jamais une goutte de pathos, pas un gramme de putasserie, jamais de coups de coude complice au lecteur, de même que sur scène, il n’a jamais souri ou tendu la main à son public. Toujours droit dans ses boots (de cuir espagnol ?), toujours vertical, toujours aussi mystérieux qu’un sphinx.
Nobel rock
L’autre raison pour laquelle ce prix nous ravit, c’est parce qu’il dépoussière le Nobel et donne un grand coup de boule dans les catégories académiques établies. Pour être reconnu comme œuvrant dans la littérature, et la bonne, pas besoin d’avoir publié dix livres, d’avoir eu d’autres prix littéraires, d’être reconnu par la critique spécialisée, d’être le poulain d’une grande écurie de l’édition, il suffit parfois d’être juste un chanteur, un barde, un rockeur, et de savoir jongler avec les mots. Dylan Nobel, c’est comme le verre moitié vide moitié plein : est-ce le rock qui se nobélise ou le Nobel qui s’encanaille ?
La gentrification ultime du rock ?
Certains verront là la mise en bière ultime du rock, sa gentrification terminale et on peut comprendre ce point de vue. Pour notre part, on préfère y voir le désenclavement de la sphère littéraire, le symbole fort du mélange polysémique des disciplines qui marque notre ère multimède et du chamboule-tout des hiérarchies du monde ancien. De ce point de vue-là aussi, “the times they are a changin” et c’est magnifique
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